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Entretien avec Marc Bertrand, directeur général d’Amundi Immobilier

Nous avons rencontré Marc Bertrand, directeur général d’Amundi Immobilier *. Il fait le point sur l’état du marché de l’immobilier d’entreprise et de ses évolutions. Il nous livre sa vision de la transformation du marché sous l’effet du télétravail et de la mise en place de nouvelles réglementations.

Dans quelle situation se trouve aujourd’hui le marché de l’immobilier d’entreprise ?

Ce marché est encore convalescent, car, après des années de forte croissance, le réajustement a été particulièrement sévère. Pendant une décennie de politique publique monétaire très conciliante, avec des taux zéro, voire négatifs, les rendements des placements sécurisés, type livret A, ont plafonné à 0,75 %. Dans le même temps, les fonds immobiliers, à l’image des SCPI, rapportaient autour de 4 %. La pierre papier a ainsi constitué une solution pour obtenir du rendement. Cela a logiquement généré un afflux massif de capitaux et fait mécaniquement monter les prix… avec, pour effet, dans un second temps, d’abaisser les rendements des SCPI.

A partir de 2022-2023, avec le retour de l’inflation et la hausse des taux, la parenthèse enchantée qu’a représenté la décennie de taux zéro s’est refermée. C’était d’ailleurs prévisible, bien que certains aient pu évoquer la possibilité de taux zéro perpétuel, qui ne prendrait jamais fin. Mais c’était oublier un peu vite que l’histoire économique est constituée de cycles et que les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel ! Sur le marché immobilier, la correction liée à l’inflation et à la hausse des taux d’intérêt, a été encore amplifiée par l’inquiétude qui est apparue ; la psychologie des marchés amplifie généralement les cycles.

Mais cette correction a eu pour effet de rééquilibrer le marché de l’immobilier. C’est désagréable mais c’est nécessaire. Le marché de la pierre papier, avec les SCPI, suit le même mouvement que le marché immobilier, mais avec toujours un peu de retard. On constate que les investisseurs reprennent peu à peu confiance aujourd’hui. Et à long terme, l’immobilier, du fait de sa capacité à produire des revenus, atténue considérablement l’effet financier des variations de valeurs.

En quoi le développement du télétravail impacte-t-il l’immobilier de bureau ?

Quelles évolutions envisager ? On constate actuellement une surcapacité sur le marché de l’immobilier de bureaux. La demande placée a en effet baissé d’environ 15 %. Mais ce n’est pas non plus un effondrement. On note ainsi que les bureaux neufs ou récents dans les quartiers prisés des grandes villes se vendent ou se louent toujours très bien. En revanche, les bureaux plus anciens, dans des zones plus périphériques, rencontrent effectivement plus de difficultés. Mais l’ensemble du marché doit aussi faire face à une transformation de l’organisation des entreprises. La révolution technologique, l’évolution des mentalités et le changement des comportements liés à la crise sanitaire ont en effet entraîné d’importantes transformations dans le rapport au travail. Le fonctionnement des entreprises est devenu plus flexible et l’on travaille de plus en plus en mode collaboratif. Auparavant, l’entreprise fournissait au collaborateur un espace où il trouvait tous les outils de travail dont il avait besoin pour remplir sa tâche : ordinateurs, imprimantes, téléphones… La technologie du sans fil et internet ont bouleversé tout cela. L’une des principales questions que se posent aujourd’hui nombre de chefs d’entreprises est ainsi devenue : comment fait-on pour faire revenir les gens au bureau ? Même s’il faut tout de même préciser que la tendance est plus forte dans le monde anglo-saxon qu’en Europe et notamment dans les pays latins. Mais d’une manière générale ce sont ceux qui disposent d’un logement confortable et relativement grand, qui sont les plus « accros » au télétravail. Pour le dire autrement, le vendredi, y compris en France, on a plus de stagiaires que de cadres présents dans les bureaux ! Le stagiaire vit plus fréquemment chez ses parents ou dans un logement exigu alors que le cadre dispose souvent d’un endroit confortable pour travailler chez lui. Quoiqu’il en soit, la tendance de l’immobilier de bureau consiste aujourd’hui à privilégier la qualité, notamment sous l’effet de la notion de bien-être au travail. Les espaces conviviaux consacrés au sport ou à la détente, par exemple, se développent de plus en plus.

Faut-il, selon vous, acheter ou louer ses bureaux ?

Le débat est ancien et a connu des réponses différentes suivant les périodes. Ces dernières années, on peut distinguer trois phases. Les entreprises ont, un temps, cherché à alléger leur bilan en vendant leurs biens immobiliers et en louant leurs propres bureaux. Les exemples sont nombreux : d’Orange au groupe Accor, en passant par Casino ou Auchan. Il paraissait plus rentable de vendre, de se désendetter ou d’investir ailleurs, et de louer.

Pendant la période de taux zéros, les taux d’endettement étaient tellement bas que les loyers sont devenus trop chers par rapport au cout de la dette. Les ventes se sont réduites, certains groupes ont même inversé le mouvement en rachetant leurs murs, à l’image par exemple du groupe Accor. Mais aujourd’hui le balancier des taux repart à nouveau dans l’autre sens et l’on s’attend à ce que les entreprises recommencent à céder des immeubles car la comparaison loyer versus cout de la dette s’est de nouveau inversée. L’application des normes comptables IFRS en Europe, avec notamment l’obligation de reconsolider les contrats long termes, dont les baux, dans le bilan vient cependant modérer l’intérêt comptable de la location long terme.

Parallèlement, le coworking représente une certaine solution pour résoudre cette sorte de contradiction interne du marché : des entreprises qui recherchent de la flexibilité et des bailleurs qui souhaitent des baux à long terme. Certaines offres de coworking ont connu un succès fulgurant en répondant à ce besoin très fort, d’autant que leurs contrats « courts » recevaient un traitement favorable en IFRS.

Que pensez-vous de la politique d’urbanisme de la ville de Paris, notamment son plan local d’urbanisme, PLU ?

Il s’agit d’un choix politique de la ville, issu d’un processus démocratique. Je n’ai pas de position sur l’objectif politique, en tant que tel, consistant à vouloir favoriser la mixité sociale dans Paris. Cette recherche se respecte en soi. Ce qui est, en revanche, beaucoup plus discutable et critiquable, c’est la méthode employée. Le processus s’est déroulé sans véritable concertation et sans considération des différents acteurs économiques. L’incertitude juridique et économique qui en résulte pose des difficultés pour les investisseurs qui souhaitent investir dans Paris. A long terme, c’est dommageable pour tout le monde.

Que pensez-vous du concept de zéro artificialisation nette, Zan ?

La zéro artificialisation nette, Zan, est une tendance inexorable, qui va de plus en plus s’imposer à nous. L’expansion urbaine au détriment des surfaces agricoles ou vertes n’est plus tenable : il faut aujourd’hui rechercher une certaine frugalité pour ne pas abimer les espaces naturels. Et, ne plus multiplier les mouvements pendulaires des salariés avec d’interminables déplacements. Nous partageons ainsi cet objectif de parvenir à réussir un développement qui soit moins consommateur d’énergie. Tout en anticipant les conséquences : cela va changer la donne en contribuant à rendre le foncier plus rare et plus cher. La localisation d’un terrain prendra encore plus d’importance et la valeur du foncier urbain augmentera d’autant.

Face à ce contexte évolutif, quels sont les grands défis en termes d’investissements immobiliers ?

Il faut commencer par digérer le réajustement du marché, puis l’accompagner et faire des efforts de pédagogie pour expliquer la situation. La qualité et la transparence des informations communiquées sont essentielles pour conserver la confiance des investisseurs. Il faut également maintenir la liquidité des produits. De la liquidité découle la confiance des investisseurs. Il faut à ce titre noter que les demandes de retrait ou de rachat des fonds sont actuellement très faibles. L’immobilier s’est en effet installé dans le paysage de l’épargne et la pierre papier a gagné ses lettres de noblesse. Il faut poursuivre le développement des produits, en résonnance avec les attentes du public… notamment proposer des placements qui ont du sens. Je pense notamment à l’immobilier de santé ou à des produits régionaux, en lien avec les territoires.

*M. Bertrand n’est plus directeur général d’Amundi immobilier depuis le 6 mai 2024